L’Orgue de Beaupré

Le 2 Février 1772, le facteur d’orgues Georges Küttinger , né en 1733 à Bouquenom (aujourd’hui Sarre-Union – 67 ), signe le marché pour la construction d’un Grand Orgue destiné à l’abbaye cistercienne de Beaupré (Moncel-lès-Lunéville) qui fut sous la juridiction du Prince de Salm, Louis Othon, abbé commendataire dès 1739 à l’âge de 18 ans jusqu’en 1775 – année de l’élévation à la dignité abbatiale de Dom Bernard Mâlin, prieur depuis 1769.

L’instrument qui allait être le chef-d’œuvre de Küttinger et l’unique témoin  de ce facteur prévoit la composition suivante (A.D 54-H 445):

Positif de dos (50 notes, CD-d’’’)

Grand-Orgue (50 notes, CD-d’’’)

  • Bourdon 8
  • Montre                     4
  • Flûte                        4
  • Nazard             2  2/3
  • Doublette                 2
  • Tierce              1   3/5
  • Larigot            1   1/3
  • Plein-Jeu          5-4 rgs
  • Plein-Jeu         5-4 rgs
  • Basse de Clairon   4  C-h
  • Dessus de Hautbois 8  c’-d’’’
  • Bourdon 16
  • Montre                  8
  • Bourdon                 8
  • Prestant                 4
  • Grosse Tierce  3  1/5
  • Nazard             2  2/3
  • Doublette               2
  • Quarte de Nazard   2
  • Tierce              1  3/5
  • Grand Cornet   5 rgs
  • Fourniture        3 rgs
  • Cymbale           3 rgs
  • Trompette               8
  • Clairon                   4
  • Voix Humaine        8
  • Trompette de récit 8 c’-d’’’

Echo ( 27 notes , c’-d’’’) :

Cornet 5 rgs

Pédale (20 notes, FGA-d’):
Flûte 12
Flûte 6 Accouplement à tiroir I / II
Bombarde 12 Tremblant fort
Trompette 6 Tremblant doux

Le positif devait être jouable pour 1772 , et le reste de l’orgue pour le 20 Août 1774 . La réception  de l’instrument se fit le 23 décembre 1775 par Jean-Baptiste NOTRE, organiste de la cathédrale de Toul et expert réputé , qui trouva l’orgue « parfaite dans toutes ses parties, bien sonante et parfaittement d’accord ». L’instrument  étant  réceptionné  sans réserves, Küttinger devait se voir récompensé de 620 livres de gratification …mais  l’abbé Bernard  Malin ne paya pas le facteur et demanda une contre-expertise à  Johann  Andreas Silbermann qui refusa – on est en 1776 – mais qui proposa le Père Sitterlé  ou  l’organiste Théobald Eppel de Sélestat. Finalement Dom Malin fit appel  au chanoine Finot , organiste de  l’abbaye  St Rémi de Lunéville, lequel confirma l’avis de JB NÖTRE  le  4 Janvier 1778 . Cette contre-expertise n’engagea pourtant pas Dom Malin à régler les 620 livres du vivant du facteur. Georges Küttinger décéda le 23 décembre 1783. Les héritiers intentèrent un procès  contre les moines de Beaupré … Jean-François Vautrin  qui  succéda à Nicolas Dupont  se chargea  de « soigner » l’orgue de « l’abbaye de Beauprey ». Le 2 novembre 1789, les biens du clergé sont déclarés  « nationaux ». Dans  l’inventaire  du 29 avril 1790, l’orgue est décrit comme  un  « huit pieds renforcé » .  Le 1° mai 1790 , la communauté monastique est dissoute à dater du jour où s’achevait  l’inventaire des commissaires  nationaux : Drouin (maire de Lunéville), Delorme et Joly  ( conseillers  assesseurs ) . Le 15 mars 1791 l’abbaye de Beaupré est vendue  au  Sieur  Campet de Saujon , chef d’escadron de dragons  qui servit d’aide de camp  à Kellermann ( vainqueur de Valmy – 1792) et qui résida à Lunéville de 1791 à 1792. Campet de Saujon  se vit confier la garde de l’orgue et des horloges … dans l’attente de leur vente . Le 12 juin 1792 l’instrument est mis en vente : une double estimation fait  état  de  4000  livres  pour  l’orgue et de 2440 livres  pour le poids et la nature du métal brut . Les gens  de Gerbéviller  convoitaient cet orgue au prix du métal brut . Finalement  la ville de Vézelise remporta l’adjudication qui se fit à feux allumés et par enchères, et ce pour la somme de 3500 livres, à la satisfaction des élus de Vézelise : JF. Salle, maire et  quelques conseillers présents. « Le Directoire du Département autorise l’acquisition  des orgues  de l’Abbaye  de Beaupré par Vézelise …   Fait à Nancy, le  6 octobre 1792. Signé : Henry Pagnot , Grandjean, Perrin, Demangeot et Anthoinet, secrétaire général ».

L’ORGUE KUTTINGER à VEZELISE

L’autorisation d’achat étant obtenue, se pose  la question  du  paiement  de l’acquisition , du démontage de  l’orgue à Beaupré et du remontage à Vézelise. Les travaux sont mis en adjudication : un menuisier de la ville, Augustin Laurent les obtient pour 550 livres , le 8 Octobre 1792. Le maire Jean-François -Xavier Salle établit un devis  en 27 articles , où toutes les opérations  sont parfaitement décrites. Au menuisier de se faire aider par le facteur  Nicolas Génot  pour les travaux dont l’exécution  réclamait  « le délay le plus court possible » (10 oct 1792).

Signatures du Devis

Le maire J-F.Salle  se rend  fin octobre  à Beaupré et  achète au sieur  Campet  de Saujon , pour 168 livres ,  la tribune de l’abbatiale et les quatre colonnes qui la supportent, le tout à réinstaller dans l’église de Vézelise . L’orgue est démonté, mis en caisses  selon  le cahier des charges . Le transport est assuré par des bénévoles , propriétaires  de voitures : un premier convoi de six puis un second de dix auxquels participent le négociant Antoine Beudant, le rentier et « ancien chandelier » Claude Olry, le marchand-tanneur Jean Gegout, Joseph Levelle , Joseph Tocquard, les trois frères Pierson : Dominique, Gaspard   et Joseph (bisaïeul de l’Abbé Pierson) , tous de Vézelise  … puis les sieurs Gaspard  Bourot, Nicolas Vuillaume et Joseph Toussaint , tous trois d’Ognéville.
Le remontage de l’orgue dure  six mois et la réception  de l’instrument  a lieu le 31 juillet.

1793 :

« Réception des ouvrages entrepris par le citoyen Augustin Laurent, menuisier à Vézelise pour poser les buffets d’un jeu d’orgues et son positif avec leur tribune.
Les tribunes, buffets d’orgues et de positif ; boiseries à hauteur d’appui, de faces  et des faces et des côtés de la tribune ont été remontés parfaitement.
Il  devait pratiquer un jour une petite croisée dans le fond de la chambre des soufflets, il ne l’a pas fait.
La chambre des soufflets n’a pu contenir les cinq soufflets sur une même ligne et  plate- forme , il a fallu poser deux soufflets au-dessus des trois autres , ce  qui  a occasionné un ouvrage d’augmentation.
L’adjudicataire devait pratiquer la porte d’entrée à l’orgue dans  l’angle  du  mur  de la chambre de soufflets, on a changé cette porte en l’ouvrant dans l’ancien mur de la tour du clocher.
La position de l’orgue actuel ayant demandé une saillie de trois pieds de largeur de plus à la tribune pour donner un passage libre au souffleur, il y aura deux toises carrées de plus au plafond.
Un escalier tournant en chêne a été fait pour monter en haut du buffet de l’orgue. »

Fait à Vézelise , le 31 Juillet 1793 signé : Martellet.

François-Joseph MARTELLET Architecte du district.

Réf :  A.M.

Le montant  des  dépenses s’élève  à  5 173  livres: 3 500, achat de l’orgue ; 865 frais de Transport ; 640 démontage et remontage ; 168 tribune et colonnes. La Ville  parvient  à réunir  3 765 livres, dont 550 livres de la Fabrique Paroissiale , 500 livres de la caisse patriotique, 640 livres pour la vente de l’étain et du plomb de l’ancien orgue au brocanteur Ranissant de Lunéville et 40 livres pour le bois du vieil orgue vendu à  Augustin Laurent et enfin  93 livres  6 sols  6 deniers  pour la vente d’anciens insignes et ornements de l’église « rappelant la féodalité » à quoi s’ajoutent 828 livres de souscription lancée dans le public et le remboursement d’une dette du Trésor Public due à la ville datant de 1790….. Déficit assez considérable pour l’époque : on ne sait pas comment la ville  s’y  est  prise pour le combler.

« Quoiqu’il en soit, grâce à la perspicacité d’un maire  débrouillard …Vézelise avait  acquis non sans peine  des orgues comptant  parmi les plus belles de la région »  écrivait  le Chanoine MARTIN, Curé de Vézelise de 1926 à 1949 .